Lettre ouverte
Nous nous apprêtons à traverser des Fêtes sans précédent. Des Fêtes sans aspics ni cadeau loufoque déballé fébrilement avec des mitaines de four, au rythme de ce vieux vinyle du Noël des Chipmunks que personne n’a encore jeté dans le feu. Des Fêtes qui, pour plusieurs, se dérouleront en solo, paillettes en berne, devant une petite boîte jaune de quart-cuisse, assis au salon, sans repères. Seuls ensemble. On a beau avoir du mal à se faire à cette idée saugrenue que de vivre cette période de réjouissances pourtant prescrites par Mariah Carey loin des nôtres, mais la vie, cette vie fort étrange, continue. Et derrière les lumières multicolores du balcon et les arc-en-ciel pâlis par le soleil d’août, se cachent des vies. Toutes sortes d’existences.
En cette époque dont on se passerait tous, les femmes victimes de violence conjugale sont plus vulnérables que jamais. Depuis mars, toute âme souffre de cet arrêt collectif, de cet isolement brutal que personne n’a bien entendu choisi. Si, dans cette vie que vous menez à bouts de biceps, vous ressentez parfois la détresse des jours, de cette incertitude qui plane sur nos crânes et des statistiques qui claironnent en incessantes notifications sonores, imaginez ce que vivent toutes ces femmes et enfants qui, plus que jamais, sont à la merci de leur agresseur. Confinés entre quatre murs avec un bourreau. Ces mots ne sont pas très gais, je vous l’accorde. Je laisse ce boulot à Mariah.
Je tenais simplement à les adresser à toutes celles qui, au moment de lire ces lignes, vivent de la peur. De la honte. Un stress aigu à l’idée de provoquer la moindre tempête. Une esquisse de colère. Mes belles femmes, je vais vous dire une chose et une seule : ce n’est jamais normal d’avoir peur. Jamais. Et si, pour quelle que raison que ce soit, votre instinct sonne même la plus timide des alarmes, il vous faut l’écouter. Tout de suite. C’est votre plus fier allié. Les maisons d’aide et d’hébergement sont ouvertes 24h/24, même le soir de Noël. Même à quatre heures du matin, quand on marche sur la pointe des pieds. Même au moment où ce n’est pas vraiment le moment. C’est toujours gratuit et confidentiel. Les intervenantes des maisons, des femmes-lumière, des forces de la nature que j’ai l’immense privilège de côtoyer, accueilleront votre appel, votre témoignage et vos inquiétudes sans jamais vous juger. C’est qu’elles en ont vu d’autres. Jamais vous ne dérangerez qui que ce soit, je vous le promets.
Courage. C’est possible de s’en sortir. Et c’est possible de mettre la hache dans le cercle vicieux dans lequel votre petite espadrille est peut-être coincée. Il n’y a nulle honte à être victime de violence conjugale; ça peut arriver à n’importe qui, à n’importe quel moment de sa vie. La seule chose qui importe, c’est de savoir que l’aide existe et qu’elle est disponible, sans jugement. Maintenant.
J’en profite aussi, sur le plus petit des pouces, pour souligner le travail titanesque de toutes ces femmes-phares qui, Noël ou pas, pandémie ou pas, déploient leur cœur immense et leur expertise, sans relâche et sans compter, se relayant jour et nuit au service des victimes. Belles essentielles, je pense à vous. Et au nom de toutes les femmes, je vous souhaite les plus douces, chaleureuses et guillerettes Fêtes qui soient. Seules ensemble, grâce à vous.
Catherine Ethier,
Marraine du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale