Vendredi, le gouvernement du Québec dévoilait son plan d’action 2018-2023 pour contrer la violence conjugale. Il mise sur la sensibilisation et l’information du public sur les ressources existantes, la consolidation des services de maisons de 2e étape pour les femmes déjà hébergées et une amélioration du traitement judiciaire par l’embauche de 20 procureur.e.s. Pour le reste, les actions et les moyens annoncés s’avèrent insuffisants.
Le gouvernement mise à juste titre sur la diminution de la tolérance sociale et sur l’affirmation de modèles de relations égalitaires entre hommes et femmes, pour endiguer la violence conjugale. Mais en attendant une régression du problème, des femmes comme Kim et Daphné subiront cette violence. Peut-être connaîtront-elles mieux les ressources qui peuvent les aider, peut-être le milieu de travail se mobilisera-t-il pour les aider à se protéger, mais les ressources et institutions sensées les appuyer dans cette quête de sécurité répondront-elles à l’appel?
Des ressources insuffisantes
En santé et services sociaux, on prévoit mieux former et outiller les intervenant.e.s du réseau. Toutefois, on mise surtout sur l’adaptation des services des maisons d’aide et d’hébergement aux besoins des femmes qui vivent des réalités particulières : femmes immigrantes, jeunes, aînées, de la diversité sexuelle, vivant en région éloignée. De même, pour les groupes qui interviennent auprès des conjoints violents. Un ajout de 10M$ récurrents par année est prévu pour ces adaptations et pour le financement des maisons de 2e étape, mais il n’y a rien pour l’accessibilité générale aux services. Or, selon l’évaluation faite par le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, il faudrait ajouter au moins 30M$ par an à l’enveloppe de 77M$ des maisons pour offrir tous les services nécessaires (consultations externes, accompagnement, etc.). Et c’est sans compter l’insuffisance de places d’hébergement d’urgence dans plusieurs régions. Bien sûr, les femmes nécessitant un soutien plus important à l’issue de leur hébergement pourront enfin compter sur les services des maisons de deuxième étape. C’était une action attendue depuis longtemps, mais encore faut-il qu’elles aient d’abord accès aux refuges d’urgence. Bien sûr, les intervenantes y sont dédiées et alertes face aux risques d’agression et d’homicides, mais elles ne peuvent à elles seules assurer la sécurité des femmes et des enfants. Or, le plan ne permettra pas à toutes les femmes d’obtenir protection et orientation vers les ressources spécialisées. Ainsi, seulement deux mesures visent l’amélioration de la pratique policière. Comment s’assurera-t-on que les victimes qui feront appel aux services de police, souvent les premiers répondants, ne se buteront pas à une mauvaise évaluation de la situation, comme ce fut le cas pour Daphné Huard-Boudreault?
En matière d’évaluation des risques, le plan demeure timide.
On accueille bien sûr avec satisfaction le mandat donné aux agent.e.s de probation de 4 régions du Québec d’évaluer les risques posés par les conjoints violents en attente de procès, mais encore faut-il que des accusations aient été portées. Par contre, alors que dans quelques régions du Québec on s’est doté de mécanismes de concertation pour prévenir les homicides et qu’on planifie le faire dans d’autres, le plan ne prévoit aucune mesure de soutien à ces actions. Il se borne à en proposer la recension. Rien de structurant non plus pour assurer l’évaluation des risques à la sécurité de l’ex-conjointe ou des enfants par le Tribunal de la famille au moment de déterminer les droits de garde et d’accès. Le problème devait faire l’objet de mesure dans les plans d’action de 2004 et de 2012, il risque de demeurer entier.
Pas question d’attendre jusqu’en 2023 pour des mesures plus structurantes.
Certes, les travaux du Comité d’examen des décès liés à la violence conjugale permettront, au fil des ans, d’identifier les pratiques à améliorer. D’ici là, le nouveau Forum des partenaires nous permettra de suivre la mise en œuvre des actions dans le respect des orientations gouvernementales réaffirmées par la ministre David et de rappeler les problèmes persistants. Mais, malgré l’espoir que donne ce mécanisme, il faut aller plus loin. Pendant la campagne électorale, nous rappellerons à tous les partis que la violence coûte cher économiquement (estimation de 7,4 milliards au Canada[1] en 2009), mais surtout en vies humaines. Et c’est pourquoi ils doivent s’engager à agir fermement pour la contrer.
Chantal Arseneault
Présidente du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale
[1] Zhang, T. et al (2009), Une estimation de l’incidence économique de la violence conjugale au Canada en 2009, consulté en ligne le 11 août 2018