Lettre ouverte
Permettre aux enfants exposés à la violence conjugale de redevenir des enfants, c’est la responsabilité que nous avons et c’est le message que nous adressons aujourd’hui à la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse. Les enfants qui séjournent en maison d’aide et d’hébergement avec leur mère portent à des niveaux divers, selon leur âge, selon leur vécu, les traces de la violence de leur père ou de leur beau-père. Des bébés sursautent dans leur couchette au moindre bruit, des enfants plus vieux sont inquiets pour leur mère, certains se sont interposés pour la protéger, d’autres expriment ne plus vouloir voir leur père. Il faut les écouter, les rassurer et surtout assurer leur sécurité.
Malheureusement, à l’heure actuelle, bien des intervenantes de la protection de la jeunesse n’ont pas une bonne connaissance de la problématique de la violence conjugale, de ses formes, des stratégies de contrôle de l’agresseur et de ses impacts sur les femmes et les enfants qui la subissent. Cela les amène à prendre des décisions nuisibles pour les femmes et les enfants. Pourquoi une telle situation? Douze ans après l’introduction des mauvais traitements psychologiques, qui incluent l’exposition à la violence conjugale, dans la Loi sur la protection de la jeunesse (2007), aucune formation systématique n’a été offerte aux intervenantes de la DPJ à ce sujet.
Pourtant dès 2008, on estimait que la violence conjugale était présente dans le quart des situations où un signalement avait été retenu. Une décennie plus tard, ce chiffre est sans doute encore plus élevé. Et c’est sans compter les signalements qui ne sont pas retenus, faute d’une analyse juste de la situation. Or, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), pourtant engagé dans les plans d’action gouvernementaux contre la violence conjugale, n’a pas jugé la situation suffisamment grave et urgente pour investir les fonds nécessaires dans une formation massive du personnel de la protection de la jeunesse.
Peut-on alors se surprendre que trop d’intervenantes de la DPJ croient toujours qu’il suffit d’enjoindre les mères victimes de violence conjugale de quitter leur conjoint pour qu’elles puissent, sans accompagnement et soutien, mettre fin à une relation empreinte de domination, de contrôle et de violence qui les a brisées? Peut-on s’étonner que nombre d’intervenantes pensent que les pères arrêteront d’exercer de mauvais traitements psychologiques et que les enfants y seront miraculeusement soustraits? Peut-on être surpris qu’on ne retienne pas les signalements des mères qui cherchent à protéger leurs enfants, les laissant ainsi seules responsables de contrôler les agissements de leur ex-partenaire? Ou encore qu’on les suspecte de vouloir nuire à celui-ci et l’empêcher d’avoir des droits de garde ou d’accès à ses enfants?
Non, il n’y a rien d’étonnant, à ce que le personnel de la DPJ, souvent jeune et inexpérimenté, confronté à un problème aussi complexe que la violence conjugale, pose des jugements erronés et propose des mesures qui mettent en danger les enfants et leur mère. Les intervenant.e.s de la DPJ ont la très lourde et délicate tâche de protéger des enfants qui ne peuvent pas toujours exprimer ce qu’ils vivent. Il faut les former, les soutenir, les superviser pour qu’elles et ils constatent la nécessité de protéger les mères pour protéger les enfants. C’est la responsabilité du MSSS de le faire, mais les intervenantes de nos maisons membres sont prêtes à contribuer en partageant leur expertise.
Chantal Arseneault, présidente du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale.