Lettre publiée dans Le Devoir, 29 août 2023

En un mois au Québec, deux femmes et trois enfants ont perdu la vie aux mains d’un conjoint et d’un père violent et contrôlant, qui s’est lui-même suicidé ou a tenté de le faire. Comme toujours, nous sommes bouleversées face à ces féminicides et à ces infanticides à répétition, et envoyons nos pensées solidaires aux familles des victimes

Dans ces scénarios effroyables, qui se répètent à un rythme et avec des similitudes saisissantes, on constate très souvent que personne n’avait vu de signe précurseur. Pourtant, comme l’indique la criminologue britannique Jane Monckton Smith, les féminicides sont parmi les « meurtres les plus prévisibles », et suivent presque toujours une même trajectoire.

Aujourd’hui, le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale lance un cri du cœur aux intervenant.e.s et aux organisations qui gravitent autour des victimes ou des auteurs de violence conjugale. Il est temps de changer notre regard sur la violence conjugale pour ne plus la voir comme une succession d’incidents isolés, essentiellement de nature physique, qui n’auraient pas de liens entre eux. La violence conjugale se manifeste toujours par une série de gestes et d’attitudes contrôlants, continus et cumulatifs. En omettant de voir le portrait d’ensemble, on passe à côté de la possibilité de protéger les femmes et les enfants qui en sont victimes.

Selon une étude américaine de 2003, dans 1/3 des cas, l’homicide ou la tentative d’homicide conjugal constituait le premier évènement de violence physique. Malgré l’absence de violence physique, il y a presque toujours des signaux d’alarme qui indiquent la présence de contrôle coercitif et annoncent une escalade.

Y a-t-il présence de contrôle coercitif?

Selon une étude britannique de 2017, le contrôle coercitif était présent dans 92% des homicides conjugaux. Investiguer sur la présence et l’ampleur du contrôle dans une relation permet de prévenir une escalade de violence qui peut s’avérer fatale, notamment en cas de rupture. La victime a-t-elle été isolée de son réseau social, se sent-elle contrôlée dans ses activités quotidiennes, est-elle surveillée, est-elle harcelée, reçoit-elle des appels incessants, est-elle menacée, craint-elle pour sa sécurité ou celle de ses proches? Ces éléments sont autant d’exemples du contrôle coercitif qui peut s’exercer pendant ou après la relation, et qui doit alerter les intervenant.e.s. C’est en questionnant la victime sur sa relation et sur le contexte de sa demande d’aide, lorsque c’est le cas, qu’on sera en mesure d’avoir un portrait global de la situation et donc de détecter le niveau de risque. Il est crucial de prendre au sérieux les craintes de la victime ou de son entourage et de réagir avec force avant que le pire ne se produise.

Y a-t-il une perte d’emprise?

La perte d’emprise sur la victime est très souvent le prélude à une escalade de violence. La séparation récente, l’arrivée d’un nouveau conjoint ou encore la mésentente au sujet de la garde des enfants sont autant de facteurs qui font augmenter le risque de passage à l’acte. C’est lorsqu’il sent que le contrôle qu’il exerçait n’a plus de prise sur sa victime que l’agresseur peut chercher à la détruire, elle ou les enfants.

Comment protéger les victimes avant le pire?

Détecter le contrôle coercitif et être conscient.e des conséquences que cela pourrait entrainer en cas de perte d’emprise permet aux intervenant.e.s d’avoir une longueur d’avance pour tisser un filet de sécurité autour d’une victime et de ses enfants. La détection précoce des signaux d’alerte est cruciale pour mobiliser les ressources spécialisées en violence conjugale, pour protéger les femmes et les enfants mais aussi pour prendre en charge la personne suspecte et déployer les mesures nécessaires.

Un.e intervenant.e, qu’il ou elle fasse partie de la police, des services de libération conditionnelle, de la DPJ ou autres services sociaux, ne peut répondre seul.e à l’ensemble des besoins. Mais en étant formé.e.s et outillé.e.s sur la notion de contrôle coercitif, les professionnel.le.s peuvent être un maillon déterminant pour lever un drapeau rouge et, éventuellement, déclencher une cellule d’action concertée (aussi appelée cellule d’intervention rapide), qui permet de mobiliser tout un réseau d’acteurs afin de prévenir le pire et de mettre en sécurité une femme et ses enfants. Il est également possible de se tourner vers les maisons d’aide et d’hébergement, qui sont des alliées et des ressources incontournables pour élaborer des scénarios de protection et protéger les victimes.

Quand on est victime de violence conjugale, demander de l’aide est très exigeant. Collectivement, nous devons être à la hauteur du courage de ces femmes.

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Les féminicides, des crimes prévisibles, à condition de détecter la dynamique de contrôle


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