Alors que les féminicides se succèdent, nous ne pouvons qu’être choquées par la couverture qu’en font certains médias. Des propos erronés tenus dans les derniers jours contribuent fortement à la perpétration de mythes et stéréotypes stigmatisant les victimes de violences conjugales, voire même dangereux pour de nombreuses femmes présentement à risque d’homicide. Nous ne pouvons donc rester silencieuses face à plusieurs propos ayant pour effet de culpabiliser les femmes et de déresponsabiliser les hommes violents, en allant à l’encontre de toutes les analyses sérieuses de la violence conjugale.

Non, les femmes ne sont jamais responsables de la violence.

Quelle que soit l’éducation qu’elles ont reçue, quels que soient leur passé familial ou leurs problèmes de santé mentale. Si la violence conjugale tue encore aujourd’hui, c’est parce que des hommes violents ont décidé, délibérément, de se donner le droit de vie ou de mort sur elles.

Non, quitter un partenaire violent n’est pas un gage de sécurité.

Rappelons que la grande majorité des femmes qui ont été assassinées avaient quitté leur conjoint. Dans leur cas, partir sans filet de sécurité ne les a pas protégées de la violence de leur partenaire. Au contraire, la séparation récente ou imminente correspond au moment où le risque homicidaire pour les femmes et enfants victimes de violence conjugale est le plus élevé, alors que le conjoint multiplie ses stratégies de contrôle pour tenter de maintenir son emprise sur sa victime. Ainsi, pousser une femme à partir ou à dénoncer peut la mettre en grand danger, et ses enfants aussi. Les femmes sont les meilleures juges pour savoir quand quitter, et si elles ne le font pas, c’est peut-être parce qu’elles évaluent que le danger est trop grand.

L’intervention en violence conjugale demande une expertise pointue, une sensibilité à tous les enjeux auxquels les victimes font face, et beaucoup beaucoup de prudence. C’est avec une préparation minutieuse et en respectant la victime que les ressources d’aide et d’hébergement peuvent préparer le départ de celles qui le souhaitent.

En tant que proche, la meilleure chose à faire, c’est de garder le contact et d’offrir une écoute et un soutien inconditionnels, même si on ne comprend pas toujours leurs choix. Le jour où elles seront prêtes, elles pourront se livrer sans craindre d’être désavouées et bénéficier du support de leurs proches, qui est essentiel.

Non, ce n’est pas parce qu’une femme reste ou retourne avec un conjoint violent qu’elle y « trouve son compte ».

Il est rare qu’au début d’une relation la violence soit déjà présente. Le contrôle coercitif s’installe sournoisement, à travers une série de contraintes, de menaces, de surveillance, et parfois de violence physique. L’homme installe un climat de peur jusqu’à priver, petit à petit, sa conjointe de sa liberté et de son réseau social. La marche devient alors très haute à franchir pour s’en sortir : elles craignent que la violence s’intensifie, que leurs enfants leur soient retirés, que leurs proches les jugent, elles n’ont plus confiance en elles et en leur capacité de prendre des décisions, etc. C’est pour soutenir les femmes dans leur reprise de pouvoir, en respectant leurs choix et leur rythme, que des ressources existent partout au Québec.

Alors que l’on déplore 16 féminicides et 2 infanticides en contexte de violence conjugale, tous commis par des hommes et la plupart du temps en contexte de rupture ou postséparation ; alors que les statistiques confirment hors de tout doute que les femmes représentent la quasi-totalité des victimes des crimes graves commis dans un contexte conjugal[1] : comment peut-on encore se demander « ce qui se passe dans la tête des femmes » quand ce sont des hommes qui sont responsables de la violence?

Imaginez un vol à main armée dans une banque. Est-ce qu’on blâme le commis pour avoir donné l’argent ? Est-ce qu’on tente de trouver la raison pour laquelle il a été ciblé par le voleur ? Pourtant, c’est ce qu’on fait trop souvent dans les situations de violence conjugale.

Nous avons tous et toutes un rôle à jouer dans l’éradication de cette violence. Si notre objectif commun est que celle-ci cesse, il faut collectivement s’informer et s’éduquer pour qu’arrête la propagation de propos qui culpabilisent les femmes et justifient la violence à leur endroit.

Si nous sommes révolté.e.s devant les féminicides et la violence conjugale, cherchons d’abord les raisons du côté des agresseurs. Demandons-nous ce qui, dans notre société, fait en sorte de permettre, voire d’encourager la violence conjugale. Cherchons-en les racines dans les systèmes de domination et d’iniquité de genre, mais cessons de pointer du doigt les victimes.

 

Signataires :

  • Chantal Arseneault, présidente du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale
  • Jocelyne Jolin, directrice générale de SOS violence conjugale
  • Sabrina Lemeltier, présidente de l’Alliance des maisons d’hébergement de 2e étape pour femmes et enfants victimes de violence conjugale
  • Manon Monastesse, directrice générale, Fédération des maisons d’hébergement pour femmes
  • Geneviève Legault, présidente de L’R des centres de femmes

[1] Selon les données du ministère de la Sécurité publique (2016), les femmes représentent 97,9% des victimes d’agressions sexuelles, 96,3% des victimes de séquestration, 91,8% des victimes d’intimidation, 86,1% des victimes de harcèlement criminel et 85,7% des victimes d’homicides.

 

Octobre 2021.

Lettre parue dans La Presse, Le Soleil et La Voix de l’est.

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Les femmes ne sont jamais responsables de la violence qu’elles subissent


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