Lettre ouverte publiée dans La Presse, 29 juin 2023, consignée avec le FRAPRU

«C’est quoi le pire : continuer de subir de la violence chez soi ou vivre dans la rue?» 

Voilà le choix terrifiant qui s’offre à la majorité des femmes victimes de violence conjugale, dans un contexte où les logements locatifs manquent, où ceux disponibles sont soit trop chers, trop petits, en mauvais état, et où les préjugés et la discrimination contre des familles font rage.  

La quête d’un toit sécuritaire 

 Alors que le Québec traverse la pire crise du logement de son histoire moderne, la situation des femmes victimes de violence conjugale s’avère toujours plus intenable. 

Devant le nombre effarant de féminicides dans les trois dernières années, on entend beaucoup parler du manque de places dans les maisons d’aide et d’hébergement. La difficulté des femmes à trouver un logement qui réponde tant à leurs besoins qu’à leur capacité de payer, fait en sorte que leur séjour s’allonge, ne permettant pas à d’autres d’obtenir une place. Même lorsqu’elles occupent un emploi et gagnent un revenu, trouver un logement s’avère de plus en plus difficile. Pour celles qui sont dans une situation économique précaire, qui ont besoin d’un logement adapté à leur handicap, ou qui font face à de la discrimination en raison de leur identité, c’est tout simplement mission impossible.   

Alors que l’accès à un logement décent, sécuritaire et répondant à leur capacité de payer, est une condition incontournable à la reconstruction des femmes victimes de violence conjugale et de leurs enfants, elles sont ainsi trop souvent condamnées, soit à louer des logements trop petits, excentrés, isolés ou peu sécuritaires, soit à vivre de l’itinérance, ou encore à rester ou retourner auprès de leur conjoint, mettant en péril leur santé, leur liberté, leur sécurité et parfois même leur vie et celle de leurs enfants.  

Du logement social, c’est vital ! 

Si le logement est un droit fondamental, un bien essentiel, auquel toutes et tous doivent avoir accès, dans le cas des femmes victimes de violence conjugale et de leurs enfants, il s’agit d’une question de sécurité, voire de survie.  

En offrant une sécurité d’occupation, en garantissant des loyers répondant à la capacité de payer des ménages et en constituant un patrimoine collectif, le logement social est une réponse concrète à la crise du logement, qui touche particulièrement les locataires à faible et modeste revenus. 

De fait, le manque de financement chronique des gouvernements pour construire du logement social a des conséquences directes sur la capacité des femmes victimes de violence conjugale à s’en sortir. 

C’est pourquoi le gouvernement québécois a le devoir d’inverser rapidement la tendance, en assurant l’accès à un logement social tant aux femmes victimes de violence conjugale, qu’à toutes celles forcées de vivre dans des situations de précarité. Pour ce faire, il doit augmenter ses objectifs de réalisation à la hauteur des besoins et financer adéquatement un programme pérenne et spécifiquement dédié au logement social, permettant de développer tant des coopératives, des OSBL d’habitation, que des habitations à loyer modique (HLM – pour lesquelles les femmes victimes de violence conjugale sont prioritaires). Plus largement, il doit également adopter une politique globale en habitation basée sur la reconnaissance du droit au logement, le développement et la protection du logement social ainsi que des meilleures protections pour les locataires, dont les femmes victimes de violence conjugale.  

Pour sa part, le gouvernement fédéral peut et doit contribuer à augmenter significativement la part de logements sociaux, en réaffectant les milliards de dollars prévus dans sa Stratégie nationale sur le logement, au logement social. Il pourrait également prévoir du nouveau financement récurrent et prévisible pour l’Initiative pour la création rapide de logements (ICRL), qui vise spécifiquement à répondre aux besoins de logements sociaux de personnes vulnérables, dont les femmes victimes de violence conjugale. 

Quant aux municipalités, aux premières loges de la crise qui touche leurs populations, plusieurs prennent parole et se mobilisent pour agir en matière de logement social. Elles représentent des partenaires incontournables qui peuvent aussi faire une différence à leur échelle : réserver des terrains et acquérir des sites pour la construction de logements sociaux, imposer une part de logement social dans tout nouveau projet de développement immobilier, ou encore plaider auprès des autres paliers de gouvernement pour des programmes adéquats et financés à la hauteur des besoins.     

Les femmes victimes de violence conjugale font preuve d’un courage et d’une résilience admirables dans un contexte où les conditions pour réorganiser leur vie sont difficiles. Les maisons d’aide et d’hébergement sont là pour les soutenir dans leurs démarches et s’adaptent à la réalité et aux besoins de chacune des femmes et de leurs enfants. Mais viendra le jour où elles seront prêtes à redémarrer leur vie ailleurs. Pour que ce jour-là soit un véritable renouveau, les gouvernements doivent faire tout leur possible pour que le logement devienne une clé pour s’en sortir.

 

Annick Brazeau, présidente du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale 

Véronique Laflamme, Porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) 

 

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Violence conjugale – Le logement social, une clé pour s’en sortir


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