Lettre ouverte

Ordonnance de protection civile pour les victimes de violence conjugale : une solution de dernier recours

Le 25 septembre dernier, l’organisme Juripop indiquait avoir obtenu la première ordonnance de protection civile pour une femme victime de violence conjugale. Cette procédure peut par exemple interdire à un conjoint violent de communiquer ou de s’approcher du domicile de la victime. Toutefois, ce type d’ordonnance soulève bien des questions, autant sur le plan de la sécurité des femmes que sur la responsabilité collective vis-à-vis de la violence conjugale. Avant de crier victoire suite à l’obtention d’une telle ordonnance, le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale tient à partager ses réserves quant à cette procédure qui pourrait s’avérer être un outil à double tranchant.

Faux sentiment de sécurité

En obtenant une ordonnance de protection civile, les victimes de violence conjugale peuvent se sentir protégées par la reconnaissance de leurs craintes devant un juge, ce qui demeure rare en droit de la famille. Mais qu’en est-il ? En cas de manquement, le conjoint encourra des peines plus légères que si le dossier était traité au criminel. En outre, une telle ordonnance ne laisse aucune trace dans le dossier judiciaire, ce qui ne permettra pas à la justice de retracer les antécédents et ce qui fragilisera l’évaluation des risques en cas de futures infractions. De la même façon, la police n’étant pas informée automatiquement par la cour de l’existence de ces ordonnances, cela pourrait avoir pour effet de justifier de ne pas intervenir en cas de manquement.

Sachant que le danger augmente au moment d’une rupture en contexte de violence conjugale, ces premiers constats nous font craindre que l’obtention de cette ordonnance instaure un faux sentiment de sécurité préjudiciable pour les victimes.

Un fardeau supplémentaire pour les femmes

Recourir à une ordonnance de protection civile peut sembler facilitant pour les femmes qui quittent un conjoint violent : c’est leur avocat.e qui prendra en charge cette demande d’ordonnance, en même temps que les demandes de droits d’accès et de partage des biens, et qui s’adressera au tribunal en cas de manquement, avec des conséquences rapides, bien que plutôt faibles.

Toutefois, ces démarches impliquent des coûts à chacune des étapes, en plus de faire reposer l’initiative des procédures sur les épaules des victimes.

Généraliser cette pratique, au lieu d’encourager et d’accompagner les femmes vers des poursuites criminelles, aurait pour effet de reprivatiser la question de la violence conjugale et de la ramener à l’état d’un conflit entre deux personnes. Alors que le caractère criminel de la violence conjugale constitue un acquis obtenu de haute lutte, la prévalence de l’ordonnance de protection civile risque-t-elle de remettre en question la prise en charge de la violence conjugale par l’État, au profit d’une gestion au civil d’un « problème privé » ?

Banalisation et déjudiciarisation de la violence conjugale

Nous craignons que diriger les femmes vers cette voie civile ne les décourage de porter leur dossier au criminel, avec pour conséquence une diminution des plaintes à la police et ainsi une déjudiciarisation des cas de violence conjugale. Nous craignons ainsi de voir l’État se déresponsabiliser face aux victimes et les laisser porter seules le poids de leur protection.

Pour éviter ce glissement, travaillons plutôt à améliorer le système judiciaire dans sa globalité, afin d’offrir aux victimes un éventail d’options susceptibles de garantir leur sécurité. À ce chapitre, nous demandons notamment : des interventions systématiques des services de police en cas de non respect des conditions par le conjoint, un meilleur accompagnement et encadrement pour permettre aux femmes de naviguer plus facilement à travers les procédures criminelles, de la sensibilisation à la problématique de la violence conjugale pour les juges.

Un outil à utiliser avec modération

Si l’ordonnance de protection civile peut être considérée comme une solution dans certains cas, le Regroupement croit qu’avant de procéder, on doit évaluer l’existence d’infractions criminelles, informer la victime de la possibilité d’une plainte à la police pouvant mener à une poursuite, proposer le recours au « 810 », si une poursuite n’est pas envisageable. Dans la mesure où toutes ces possibilités sont écartées de façon informée, l’ordonnance de protection civile peut alors constituer un outil complémentaire. Elle ne devrait toutefois en aucun cas représenter une voie de sortie pour pallier les manquements d’un système judiciaire en matière criminelle toujours perfectible.

Chantal Arseneault, présidente du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale

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