Montréal, le 24 août 2016 – Le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale réclame que la ministre de la Justice du Canada, madame Wilson-Raybould, entame immédiatement des discussions avec le gouvernement des États-Unis pour que celui-ci retire sa demande d’extradition de madame M.M.[1] « Depuis 6 ans, les enfants de madame vivent dans le stress constant de voir leur mère déportée, la ministre de la Justice doit profiter de l’engagement du président américain et du premier ministre canadien contre la violence envers les femmes pour mettre fin à cette situation », déclare madame Sylvie Langlais, présidente du Regroupement.
Une saga qui a trop duré
Le 2 août dernier, la ministre Wilson-Raybould a choisi de maintenir la décision de son prédécesseur de permettre l’extradition de M.M., une citoyenne canado-américaine qui, en 2010, a cherché refuge avec ses trois enfants en Estrie, sa région natale. Domiciliés en Géorgie, ces derniers avaient fui le foyer paternel et avaient demandé à leur mère de les aider à échapper à la négligence et à la violence de leur père. Celui-ci avait déjà été accusé de violence conjugale à l’encontre de M.M. En 2011, les États-Unis ont demandé l’extradition de madame pour la traduire devant les tribunaux pour violation de l’ordonnance de garde exclusive accordée au père. La ministre a réaffirmé la position défendue pendant 4 ans par le ministre de la Justice du gouvernement précédent, c’est-à-dire d’extrader madame en Géorgie où elle risque une peine de 15 ans de prison si elle est reconnue coupable. Bien que quatre juges de la Cour suprême du Canada sur sept aient considéré comme « raisonnable » la décision du ministre conservateur d’autoriser l’extradition, cela ne garantit pas qu’il s’agisse de la meilleure décision. Lors de la révision de cette décision, la ministre libérale aurait pu rendre une nouvelle décision tout aussi raisonnable et d’une tout autre nature comme en font foi les arguments évoqués par les juges dissidentes de la Cour suprême.
Prendre en considération la violence
Tout comme son prédécesseur, la ministre Wilson-Raybould semble avoir évalué ce dossier dans une perspective strictement légale, sans prendre en considération les violences conjugales et familiales subies par cette femme et par ses enfants. C’est d’autant plus surprenant que le gouvernement libéral a entrepris d’élaborer une stratégie fédérale sur la violence fondée sur le sexe. En effet, la ministre de la Condition féminine du Canada, Patricia A. Hajdu, a tenu cet été plusieurs séances de consultation à travers le pays afin de remplir ce mandat que lui a confié le Premier ministre Trudeau. Dans le cadre de ces rencontres, l’incapacité du système de justice à protéger les victimes de violence a été soulevée. « Nous, qui travaillons chaque jour auprès des femmes et des enfants victimes, avons espoir que le plan d’action fédéral permettra de mieux sensibiliser les avocats et les juges aux impacts de la violence conjugale et à sa persistance, même après la séparation. Mais pour M.M. et sa famille, cette stratégie arrivera trop tard », affirme madame Langlais. « Les enfants de madame sont maintenant adolescents et jeunes adultes, ils doivent pouvoir faire des projets d’avenir, se consacrer à leurs études sans avoir à se demander si leur mère sera arrêtée et emprisonnée. Ils doivent pouvoir se rétablir des traumatismes vécus », ajoute madame Sylvie Morin, de la maison d’aide et d’hébergement La Bouée régionale de Lac-Mégantic, qui soutient cette famille.
Ouvrir le dialogue avec les États-Unis
C’est pourquoi, en conformité avec la volonté affirmée de son gouvernement de travailler à rompre le cycle de la violence, le Regroupement demande à la ministre d’interpeller immédiatement les États-Unis, dont le président actuel, Barak Obama, a lui-même signé en 2013 une version améliorée de la loi américaine contre la violence envers les femmes (le Violence Against Women Act), pour qu’ils retirent leur demande d’extradition. Rappelons que tout comme Justin Trudeau, monsieur Obama s’est récemment dit féministe. Des discussions entre les deux pays devraient donc être possibles.
Faire preuve de courage et de compassion
« Et en cas de refus, nous demandons à la ministre de faire preuve de courage et de compassion et d’utiliser le pouvoir discrétionnaire que lui donne la loi pour mettre fin au processus d’extradition. Il faut aller au-delà du légal pour estimer ce qui est moralement nécessaire, soit garder cette famille ensemble », insiste madame Langlais.
Tout comme les trois juges dissidentes de la Cour suprême, le Regroupement croit fermement que « le préjudice que subiraient les enfants privés de leur mère en pareilles circonstances est profond et manifestement inéquitable. »[2] Ce serait punir une deuxième fois ces enfants, qui ont besoin de stabilité et d’amour, et aller totalement à l’encontre de leur intérêt supérieur.
Le Regroupement
Le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale regroupe 42 maisons d’aide et d’hébergement réparties sur le territoire québécois. Par sa mission d’éducation, de sensibilisation et d’action, il contribue à faire évoluer les lois et les politiques afin de rendre plus adéquates les mesures de protection pour les femmes et enfants victimes de violence conjugale.
[1] Afin de protéger ses enfants mineurs, une ordonnance de non-publication empêche de dévoiler le nom de la femme concernée.
[2] Extrait de la dissidence des juges Abella, Karakatsanis et Côté, M.M. c. États-Unis d’Amérique, 2015 CSC 62