Lettre ouverte publiée le 1er novembre 2024 dans La Presse

« Si j’avais su, je n’aurais pas dénoncé la violence conjugale » ; « mes enfants auraient été mieux protégés si je n’avais rien dit ». Dans la dernière année, plusieurs voix de femmes victimes de violence conjugale se sont fait entendre dans l’espace public pour dénoncer les difficultés qu’elles vivaient avec les services de la protection de la jeunesse : remise en question de la violence qu’elles et leurs enfants ont vécue, maintien des contacts avec le père violent au détriment de la sécurité de l’enfant, non-prise en compte de la parole des enfants, biais et stéréotypes envers les familles immigrantes, etc. En plus de craindre pour la sécurité physique et psychologique de ces enfants, nous redoutons que des victimes décident de ne plus dénoncer la violence vécue et de rester avec leur conjoint violent pour protéger autant que possible leurs enfants.

La nomination de Madame Lesley Hill à la tête de la DPJ et les déclarations du ministre Lionel Carmant en faveur d’un changement de culture au sein de ce système nous donnent espoir qu’une autre voie est possible pour les enfants et les mères victimes de violence conjugale. Face à l’urgence de protéger ces enfants et de garantir leurs droits à la sécurité et à une vie sans violence, nous exhortons la nouvelle directrice nationale de la DPJ de faire de la question de la violence conjugale une priorité d’action au cours de ce mandat qui s’amorce, aux côtés des trois autres priorités que le ministre Carmant lui a confiées hier.

Depuis l’entrée en vigueur, en avril 2023, de nouvelles dispositions de la Loi sur la protection de la jeunesse, le rôle des intervenant.e.s de la DPJ est devenu plus central que jamais en matière de violence conjugale. En 2023, les signalements pour exposition à la violence conjugale comptaient pour 12,5 % de tous les signalements reçus par la DPJ soit un signalement sur huit. 47 signalements par jour.

Pour remplir le devoir qui leur incombe d’évaluer une situation familiale où a lieu de la violence conjugale, les intervenant.e.s doivent être outillé.es et formé.e.s à la hauteur de l’urgence, afin de pouvoir identifier la problématique et ses impacts sur les enfants et d’être en mesure de les protéger. Une mauvaise compréhension de la violence conjugale, et de la composante coercitive qu’elle implique, entraîne des confusions dangereuses et dévastatrices pour les enfants, notamment lorsque la violence conjugale post-séparation est confondue avec des conflits de séparation ou de l’aliénation parentale.

Alors que le Québec se trouve à la croisée des chemins, nos trois associations – le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes et l’Alliance des maisons de 2e étape pour femmes et enfants victimes de violence conjugale – réitèrent leurs demandes de longue date, convaincues que Madame Lesley Hill saura entendre et reconnaître la nécessité impérieuse d’agir :

  • offrir aux intervenant.e.s de la formation obligatoire et substantielle sur le contrôle coercitif et la violence post-séparation. Cette formation devrait être centrée sur la sécurité de l’enfant.
  • favoriser la collaboration entre les services de protection de la jeunesse et les maisons d’hébergement.
  • mettre en place des mécanismes pour que les directives et les changements de pratiques percolent dans toutes les régions et se concrétisent dans les évaluations et les interventions.

Il existe déjà des pratiques prometteuses qui font, selon nos maisons membres, une différence concrète sur le terrain. Parmi elles : la formation PEVC qui a été offerte dans les DPJ de certaines régions avec des impacts significatifs, ou encore l’établissement d’un protocole d’entente entre les maisons d’hébergement et la DPJ d’une même région, qui facilite grandement la collaboration.

Comme l’a dit Madame Hill hier en conférence de presse : « Ne faisons aucun compromis sur le bien-être des jeunes et des enfants ». Au lendemain de sa nomination, il est permis de croire que de réels changements sont possibles. Nous veillerons.

Signataires :

  • Annick Brazeau, présidente du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale
  • Manon Monastesse, directrice générale de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes
  • Suzie Levasseur, présidente du CA de l’Alliance des maisons de 2e étape pour femmes et enfants victimes de violence conjugale

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Renouveau à la DPJ? La question de la violence conjugale doit (aussi) être une priorité


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